Poésie " Extrait de " Mes peurs de funambule " par Rémi dit Pilatom
Mes peurs de funambule ( extrait)
Depuis soixante ans je suis funambule
Mes pieds tremblants peu assurés glissent
Sur le fil de mon inquiétude, de mes peurs
Non maîtrisées par un balancier mal équilibré
J'aurai dû naître pour être heureuse
Mes parents, des gens simples s'aimaient
Dans un cadre de vie agréable d'une région prospère
Est ce un hasard, s'ils se rencontrèrent
Au zoo devant la cage d'un vieux lion solitaire
Ils décidèrent sur le champ de sceller leur union
Afin de ne pas finir comme ce vieux roi déchu
Qui n'avait jamais connu l'amour
Ma naissance au demeurant désirée
Fut des plus compliquées
J'appris, je ne sais comment, les affres
De cette arrivée qui faillit coûter le départ
De ma mère vers un voyage sans retour
Depuis ce jour, sur mon fil, je vacille mon équilibre
Culpabilise un drame qui n'est pas
Je me repasse ce mauvais film en imaginant
L'orpheline chassant celle qui vient de l'enfanter
Me posant des questions qui resteront énigmes
Autrefois, comme le voulait la coutume
Mes parents logeaient chez les aïeux de mon père
Ils avaient toujours droit d'éduquer
D' infantiliser sans le vouloir
D' étouffer un jeune couple sans repères
De reproduire ce qu'ils avaient subi
Pour le bien du clan, la chape
De ceux qui savent et transmettent
Réfléchissent pour vous
Tracent votre route, écrivent votre vie
La nature ayant horreur du vide
Ma grand mère s'arrogeât le droit
D'être à la fois tutrice, nourrice et maman
Elle prit rapidement la place d'une mère souffreteuse
Absente, subissant sans rien dire
Atteinte peut-être de frustration passive
De se voir dépossédée de la chair de sa chair
J'aimais beaucoup ma grand mère
Son écoute, sa douceur, sa simplicité
M'émerveillait, j'étais admirative
J'avais quatorze ans lorsqu'elle fût rappelée
Par les forces célestes ou occultes
Selon les croyances de l'époque
Je devenais presque orpheline
Le laisser passer des gens honnêtes
On s'habillait alors
Robe blanche ou rose
Petits nœuds dans les cheveux
Jolis souliers vernis
Les femmes en foulard vêtues de noir
Venaient écouter le prédicateur en chasuble
Qui rassemblait ses ouailles
M'improvisant chef de bande
J' haranguais les garçons de mon âge
Les quatre cent coups, c'étaient nous
Nos genoux meurtris s'en souviennent
Écorchés par quelques chutes
Lors d'aventures mémorables
J'étais bonne élève
Traînant ma crainte, mes peurs
Liées au déficit d'amour d'une mère
Étrangère que je n'ai jamais connue
Je lisais dans le regard de Papa
Son envie de me prendre
Dans ses bras et de dire
Tout l'amour qu'il avait pour moi
Sur mes joues des baisers
Interdits qu'il me voulait donner
Moi sa fille unique, sa raison de vivre
Par pudeur, et qu' en ce temps là
On ne parlait pas, on se taisait
On s'interdisait surtout
De ne pas oser des gestes tendres
N'étant point trop les us et coutumes
Nous communiquions du regard
Échangeant nos sentiments si forts l'un pour l'autre
Dans un silence complice, silence retenu
Je restais néanmoins en équilibre sur mon fil
J'espérais et j'échafaudais mon avenir de funambule
Ma mère souhaitait quitter l'appartement
Pour une maison, leur maison et couper
Ce cordon invisible mais présent des aïeuls
J'étais du même avis que ma mère
Ce qui dans mon existence était exceptionnel
Ce fût un drame, un virage en épingle
Que mon papa n'a jamais pu négocier
Il était souffrant bien souvent
La déchirure et les meurtrissures
Un soir ont eu raison de lui
Il est décédé probablement de chagrin
Quelques années après avoir quitté
Au bout de 52 ans son cocon familial
Dans notre pavillon d'infortune
Un cercueil, une funeste destinée pour enfouir
Ses peines, ses frustrations
Il s'en est allé sur la pointe des pieds
Depuis mes pas sont maladroits
Sur mon fil, je vacille à nouveau, pleure ses adieux
Un au revoir, que j'ai refusé
Il est parti sans moi, abandonné
Je me sens lâche, mes peines renfrognées
Pleine de remords, la fuite comme refuge
Chaque jour papa me rend visite dans mon coeur
Je nie sa mort et sa symbolique inconsciemment
Je ne me suis jamais rendue sur sa tombe
Les bien pensants ne pourront pas comprendre
Les pages du livre de ma vie défilent vite
Les années passent, un joli mariage
Un rythme de travail intense
De l'aurore à l'aube je travaille
Au service des puissants
Sans ménagement parfois
Je trouve le temps de me préparer
La trentaine, bel âge pour enfanter
Et connaître enfin
Le plus beau jour de ma vie, ma fille
De mes yeux, elle en est la prunelle
Bien sûr elle sera toujours la plus belle
Il me reste très peu de loisirs
Je la vois grandir trop vite, s'affirmer
Adolescente, évanescente
Elle quitte le nid à ses dix sept ans
Pour des études la projetant
Vers un autre univers
A nouveau mon fil devient élastique
Le balancier risque de me faire chavirer
La chair de mon sang partie, je sombre
De désespoir, mes peurs me reprennent
Mes repères deviennent flous, je pleure ....suite
Trop tôt, perdue, vulnérable
Je m'accroche, la vie continue pourtant
Pour essayer de combler ce vide
Je me plonge à corps perdu
Dans la littérature
J'ai toujours aimé les livres
Et puis vint ce drame stupide
Une page noire, un grave accident
Arrêt sur image, tout s'écroule
L'apocalypse, le néant, un tremblement
La mort aux trousses ou presque
Je reste clouée deux longues années
A ne pas pouvoir bouger
Compter les mouches au plafond
D'un désespoir profond
Sous le regard bienveillant et protecteur
De mes deux félines qui m'accompagnent
Miaulent et ronronnent
Je leur parle, les caresse
Elles vivent ma traversée du désert
Peu à peu ma tête sort de l'eau
J'émerge non sans souffrances
Entre temps, mes "amis" les tous puissants
M'ont remercié de mes bons et loyaux services
A leur manière, comme il savent le faire
Je suis au fond du précipice, images terribles
D'une chute vertigineuse dans les abîmes
Licenciée, handicapée, des amis qui oublient
Ou deviennent moins présents
Les jours sont d'interminables semaines
A quoi bon continuer, si c'est pour regarder
A quoi bon regarder si je ne peux pas participer
J'irai bien rejoindre mon pauvre papa
Sa réponse ne s'est pas fait attendre
Non ma fille, ta vie continue
Une très longue et difficile rééducation
Vient à bout de mon immobilité, je serre les dents
Je remonte à nouveau sur mon fil
Petit à petit mes pas deviennent presque sûrs
Je sors non du purgatoire, mais de l'enfer
Je me prépare une autre vie
A présent je renais, libre, j'allais enfin
Vivre cette passion dévorante
Non pas rêver, mais devenir
Ce que j'aurai dû toujours être
Bibliothécaire, oui j'en suis très fière
Il m'a fallut pour cela travailler
J'étais néophyte, n'avais aucun repère
Ma pugnacité, l'envie de réussir
L'habitude de me battre m'ont
Permis d'exercer bénévolement
Cet adorable sacerdoce basé
Sur le conseil et l'amour des livres
Et bien sûr des lecteurs
Je suis toujours funambule
J'avance au fil du temps
Heureuse de garder mon équilibre
A la recherche d'un renouveau
D'une tendresse, d'un je ne sais quoi
Je suis curieuse, j'ai envie de rattraper
Le temps que le destin m'a volé
Celui qui ne me sera jamais rendu
Je cours les galeries, les arts
J'aime l'ancien, le contemporain
Un jour, une rencontre
Je bascule et je me rattrape par miracle
Ai je perdu la tête, où est ce autre chose
Je vous laisse deviner
Ne le sachant plus moi même
Suite à cet événement qui marquera à jamais
Mon histoire, je suis incitée à me lancer
Dans l'écriture, ce que je fais avec bonheur
Ma plume glisse au fil de mon inspiration, de mes amours
Je trouve très vite mes marques
Je publie, et suis sollicitée par bon nombre
D'écrivains poètes admirateurs de ma prose
Et quelque fois d'autre chose
Je vis plusieurs passions à la fois
Brûle les étapes d'une vie mise
Entre parenthèses pendant deux ans
Ma vie va changer, je me sens rassurée
J'ouvre une porte sur une idylle
Un autre devenir, un amour fou
Irraisonné, mais serait ce de l'amour
Je danse sur mon fil sans balancier
Soudain tout bascule, traîtrise, pleutrerie
Ou peur de nuire, de ne pas pouvoir assumer
Peut importe, le couperet tombe
Dans un fracas de cris, de pleurs, d'insultes
Qui pleuvent dans de violents orages
Rien n'y fait, il n'y aura pas "demain"
La funambule que j'étais sur son filin du bonheur
Glisse et tombe dans le précipice d' un désespoir
Suicidaire, l'envie d'en finir
Meurtrie, blessée, trahie adieu la vie
Au moment de rejoindre mon papa
Pour un dernier voyage dans l'inconnu
Une force surnaturelle m'empêche
De commettre l'irréparable
Ma pauvre tête devient folle
Je reprends à nouveau mon vieux balancier
J'essaie de glisser doucement
Sur ce fil, qu'un moment j'ai failli abandonner
J'engage une démarche dite parallèle
Qui va s'avérer une excellente thérapie
Je me découvre, j'ouvre une autre page
De ce que seront aujourd'hui, demain
Je prends la vie comme elle vient
Je marche et chemine doucement vers
D'autres éléments de vie insoupçonnés
Une philosophie différente
Des paysages nouveaux vus autrement
Un monde un environnement
Que je ne pouvais imaginer
Depuis je suis enfin moi
Je garde toujours mes peurs
Le besoin d' une aile protectrice
D'un amour indestructible
Qu' une mère a oublié me donner
Texte protégé extrait de Peur de funambule juillet 2016